Chaque langue possède son registre d'expressions imagées qui sont propres à sa culture et à sa manière d'appréhender le monde. Ces expressions jouent sur la différence entre le sens et la signification : ainsi « donner sa langue au chat » ne signifie pas s'arracher la langue pour en faire le repas du matou mais bien renoncer à deviner, demander la solution d'une énigme. L'expression est à prendre au sens figuré, imagé et non au sens propre.
Le français est une des langues les plus riches en expressions imagées dont douze d'entre elles illustrent les timbres de ce carnet.
Elles sont également les témoins de la vie du langage, toujours utilisées au quotidien et venant d'un autre siècle : « monter sur ses grands chevaux » à l'heure où la voiture est reine, « éclairer sa lanterne » quand l'électricité a remplacé la bougie, ou encore « donner un coup d'épée dans l'eau » quand on ne dégaine plus que ... son portable.
En savoir sur la signification des douze expressions illustrées dans ce carnet :
Qui vole un oeuf vole un boeuf : commettre un larcin mineur, c'est se mettre sur la voie d'une délinquance plus grave
Etre serrés comme des sardines : être entassé les uns contre les autres
Etre heureux comme un poisson dans l'eau : être complétement à l'aise, dans son élément
Pleurer des larmes de crocodile
Quand les poules auront des dents : un événement qui n'arrivera jamais
Avaler des couleuvres : subir des affronts sans pouvoir protester
Le chat parti, les souris dansent
Sauter du coq à l'âne
Se regarder en chiens de faïence : se dévisager avec méfiance et froideur
Ménager la chèvre et le chou : faire vivre ensemble des intérêts contradictoires
Cela ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval : être rare, difficile à trouver
Pratiquer la politique de l'autruche : ignorer volontairement le danger ou l'échec
D’après le communiqué de presse de Phil@Poste
Avaler des couleuvres :
Avaler des couleuvres c'est subir un affront, une vexation sans être en mesure de protester. Accepter bouche cousue est le lot de tous ceux qui sont en position d'infériorité et qui jugent plus utile, ou plus prudent, de se taire, soit par esprit courtisan, soit pour leur sécurité. L'accession à tous les pouvoirs suppose naturellement une forte consommation de ces reptiles ; "Il faut savoir regarder d'un œil sec tout événement, avaler des couleuvres comme de la malvoisie", dit Chateaubriand qui s'y connaissait.
Mais pourquoi ces serpents particuliers ?... L'expression semble dater du XVe siècle où Furetière la définit ainsi :
"On dit qu'un homme a bien avalé des couleuvres, lorsqu'on a dit ou fait devant lui plusieurs choses fâcheuses qu'il se peut appliquer, ayant été cependant obligé de cacher le déplaisir qu'il en avait." Mme de Sévigné fait un grand usage de la tournure : "Il faut que le goût qu'il a pris pour elle soit bien extrême, puisque ce goût lui fait avaler, et l'été et l'hiver, toutes sortes de couleuvres."
Je pense pour ma part qu'il y a là quelque part "anguille sous roche". L'anguille, poisson d'eau douce à forme de serpent, constituait, du temps qu'elle foisonnait dans nos pures rivières, un mets courant et particulièrement apprécié. Il est probable que c'est par opposition à elle que la couleuvre, considérée comme répugnante et même dangereuse, intervient. Des hôtes mauvais plaisants auraient-ils servi des couleuvres en lieu d'anguilles pour éprouver la docilité de leurs convives ?... Le coup du chat à la sauce lapin ? Après tout la couleuvre est comestible, et de chair fine au dire de certains. On l'appelle aussi anguille de haie.
Claude Duneton - La puce à l'oreille